PODCAST – Vivre surendetté
Si, en 1966, seuls 18 % des ménages français possédaient un compte en banque, ils sont 99 % aujourd’hui. Cette arrivée massive des particuliers dans le secteur bancaire a renouvelé les pratiques de l’argent, notamment du crédit.
Jeanne Lazarus (Sociologue, chargée de recherches au CNRS (CSO, Sciences Po)), Jean-Louis Kiehl (Président de la fédération Crésus (Chambres régionales de surendettement social)).
Si les prix continuent de flamber dans l’Hexagone, les cas de surendettement, eux, suivent la tendance inverse. La Banque de France a annoncé une nouvelle baisse de ces dossiers, suivant un mouvement amorcé en 2015. Le nombre de personnes surendettées recule, mais il n’a cessé d’augmenter depuis les années 1960 avec la bancarisation et le tournant commercial du secteur bancaire. Comment le crédit s’est il imposé dans notre société et comment mieux combattre le surendettement ?
L’attrait du crédit: une malédiction organisée?
Selon Jeanne Lazarus, “il y a vraiment eu une lutte de l’Etat et des pouvoirs publics pour rendre le crédit visible et le formaliser. Le crédit passe par les institutions financières et c’était une volonté de l’Etat. Il y a eu les réformes de Michel Debré de 1966 à 1967, qui remettent en cause le cadre rigide pour les banques qui avaient été fixées au lendemain de la guerre”.
Jeanne Lazarus ajoute que “la façon dont les crédits est pensée en France est que l’on stabilise les revenus, on rend les revenus stables par le droit du travail mais aussi par la protection sociale. Cela permet que les ménages soient en mesure de planifier et de savoir qu’ils seront chaque mois capables de rembourser. Dès lors, on ouvre le marché du crédit, alors que dans d’autres pays, et notamment dans le système américain, le crédit est vu comme un des bras de la protection sociale. Le crédit est donc là pour répondre aux difficultés que ces personnes peuvent rencontrer sur le marché du travail. C’est vraiment une conception très différente de la France, de ce que veut dire protéger l’argent des ménages. En France, la protection se fait avant le crédit alors que dans d’autres cas”.
Pour Jean-Louis Kiehl, “il y a une distinction entre le surendettement actif et le surendettement passif. Le surendettement actif désigne des ménages qui excédaient leurs capacités de remboursement, cumulaient des crédits de trésorerie, des crédits amortissables. Le surendettement passif est le résultat de la pauvreté et de l’insuffisance de revenus. Aujourd’hui, on parle d’inflation galopante et de plus en plus de ménages ne parviennent pas à boucler leurs fins de mois alors même qu’ils n’ont pas souscrit de crédits. Je voudrais rappeler qu’en France, on a une règle protectrice, c’est le taux d’usure qui est réglementé. C’est extrêmement important. A l’inverse, dans les pays anglo-saxons où les taux sont libres. Cela permet de protéger les ménages contre le risque de cumuler des crédits avec des taux d’intérêt qui ne remboursent jamais le capital. C’était le reproche qu’on faisait auparavant au crédit renouvelable. Avant la loi Lagarde, l’on pouvait cumuler des crédits renouvelables de 20 000 € avec des taux d’intérêt de plus de 20 % au taux maximum – les ménages parvenaient tout juste à rembourser les intérêts. Il y a eu une forte évolution en France depuis la loi Lagarde”.
La transformation de l’interventionnisme public
Selon Jean-Louis Kiehl, “l’exclusion bancaire frappe tout d’abord les ménages qui ont de faibles revenus et qui ne parviennent pas à financer, finalement, leur projet personnel. Ces ménages subissent une double peine et ne parviennent pas à trouver des produits bancaires adaptés à leur profil. Les pouvoirs publics sont intervenus notamment pour mettre en place une charte des clients fragiles. C’est un engagement des banques et des établissements spécialisés à être particulièrement attentifs à des publics qui dérapent à un moment donné. Cela comprend un plafonnement des frais bancaires, une offre spécifique des clients fragiles qui permet de s’adresser à ces publics et leur permettre de survivre”.
Jean-Louis Kiehl évoque l’importance de l’éducation financière et le travail qu’il mène avec l’association Crésus : ” il s’agit de faire, auprès des jeunes, auprès des préretraités, des ateliers budgétaires non stigmatisants. Le surendettement est un stress et il est important de ne pas porter de jugement sur des situations. À Crésus Ile de France, par exemple, on intervient en urgentiste. On ne se pose pas de question sur le niveau de revenu, sur le niveau de dette – on essaye de pacifier les choses. Les gens découvrent pour la première fois ce qu’est un budget familial, que cela se gère comme une petite entreprise”.
Pour Jeanne Lazarus, la lutte contre le surendettement nécessite de prendre également en compte des causes structurelles qui conduisent à la pauvreté et la précarité. Selon elle, “l’éducation financière est tout à fait essentielle. Toutefois, ce qui me paraît beaucoup moins convaincant, c’est de penser que cela va résoudre des problèmes d’inégalités, des problèmes de pauvreté. Ce ne sont pas des politiques d’éducation financière qui peuvent répondre à ces enjeux-là. Il y a peut être effectivement un risque à faire porter, de façon trop excessive, la responsabilité sur chacun des particuliers dans leur capacité à gérer leur budget”.
Pour découvrir l’article rédigé par Radio France :
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