Un plaidoyer de 30 ans … la mise en place d’un registre national des crédits
Dans la perspective de la transposition en droit français de la future révision de la directive relative aux crédits à la consommation, l’Association CRESUS relance son plaidoyer en faveur d’un registre national des crédits.
La Chambre RÉgionale du SUrendettement Social (CRÉSUS) est un réseau d’associations françaises fédérées à but non lucratif dont la mission est reconnue d’utilité publique. Sa vocation est d’aider et de soutenir les personnes et les entrepreneurs en situation de fragilité économique en les préservant de l’isolement. Le réseau est présent dans 43 départements français avec 220 antennes locales et plus de 500 bénévoles experts.
Alors que les institutions européennes travaillent actuellement à une révision de la directive relative aux crédits à la consommation, l’association CRÉSUS, en tant qu’acteur de terrain au service des citoyens en situation de fragilité financière, estime nécessaire d’en appeler à la responsabilité de chacun en remettant au cœur du débat l’intérêt de la création d’un registre des crédits en France.
Son utilité économique et sociale est d’autant plus justifiée aujourd’hui au regard du contexte d’inflation et d’augmentation générale des prix fragilisant la situation financière de nombreux ménages.
De janvier à août 2022, 452 986 personnes ont été inscrites au Fichier national des incidents de paiement (FICP) pour des incidents de paiement1 (au 31 décembre 2021, 1 523 960 personnes étaient inscrites au FICP pour incidents de paiement)2.
Il est en effet possible d’envisager un registre des crédits qui ne porterait pas une atteinte disproportionnée à la vie privée, d’abord parce que la proportionnalité doit s’apprécier au regard des objectifs poursuivis, ensuite parce qu’il est parfaitement envisageable d’encadrer son utilisation.
A. Une utilité économique et sociale qui dépasse la seule prévention du surendettement
La création d’un registre des crédits est souvent uniquement envisagée comme un rempart au surendettement, un objectif jugé insuffisant eu égard au “faible” nombre de dossiers de surendettement. Pourtant, la création d’un registre des crédits servirait les intérêts de l’ensemble de l’écosystème bancaire et financier.
1. Un outil de protection des plus vulnérables
La création d’un registre des crédits réunissant des informations relatives à l’ensemble des crédits cumulés par un individu (fichier positif) contribue à l’établissement d’un bilan objectif de la situation financière du citoyen.
Ce bilan est crucial pour que le citoyen évalue sa possibilité de contracter ou non un crédit. Il l’est également pour éviter que les organismes prêteurs ne s’engagent dans le « crédit de trop ».
En 2017, la Cour des comptes a d’ailleurs interpellé les pouvoirs publics sur les possibilités d’accumulation de crédits à la consommation souscrits auprès de prêteurs différents, en raison de l’ignorance de chacun d’eux sur l’état réel de l’endettement de l’emprunteur3.
2. Un outil de stabilité financière
Les fichiers positifs ont été créés dans d’autres états de l’Union européenne, notamment en Allemagne et en Belgique, pour répondre à une crise bancaire provoquée par des défaillances de nombreux emprunteurs.
La crise de 2008 avait déjà mis en lumière la nécessité de renforcer la stabilité et la fiabilité du système financier (accords Bâle 3, directive NPL n°2021/2167), notamment en agissant sur la solidité de leurs fonds propre, mais également sur la maîtrise du risque.
Le registre du crédit permet d’agir en ce sens par la réduction du risque lié aux défaillances des emprunteurs.
3. Un instrument facilitant l’accès au crédit responsable
L’inadéquation de l’accès au financement et au crédit constitue l’une des principaux freins à l’insertion, notamment pour les ménages ruraux et les publics vulnérables en général.
La mise en place d’un système d’information sur les crédits facilite l’accès aux services financiers de manière saine et équitable en définissant des critères d’évaluation objectifs qui s’appliquent à tous.
Mettre en œuvre un registre des crédits permet de favoriser un accès au crédit responsable et inclusif fondé sur une appréciation concrète de la capacité de remboursement.
Une base de données d’informations positives et négatives permet aux emprunteurs de présenter une “garantie de réputation “.
Ceci est particulièrement important pour permettre l’accès aux crédits des emprunteurs qui ne disposent pas de garanties physiques, comme les personnes à faibles revenus et permet donc de renforcer l’inclusion financière au sens de l’égalité des chances.
4. La réduction des coûts liés à l’analyse de solvabilité
Les données d’un registre de crédit facilitent l’évaluation des emprunteurs potentiels et réduisent le besoin de vérifications plus coûteuses des antécédents et des références des demandeurs. Si une quantité suffisante de données est disponible pour l’analyse statistique, des outils de décision de crédit automatisés ou semi-automatisés peuvent être développés, réduisant ainsi le coût et le temps nécessaires au traitement des demandes de prêt.
5. Un instrument favorisant la symétrie d’informations entre les agents économiques
Une des conditions d’un marché concurrentiel est remplie lorsque les opérateurs sont placés dans des relations symétriques, c’est-à-dire qu’il n’existe pas d’obstacle structurel qui empêche un agent d’accroître sa puissance à ses seuls mérites.
Mettre en place un registre des crédits permettrait de favoriser cet échange équitable d’information et d’offrir une symétrie d’informations propice à une concurrence saine. Cela profiterait à l’ensemble de l’écosystème en facilitant l’accès de nouveaux acteurs, notamment européens, sur le marché français.
Si les arguments en faveur de l’instauration d’un registre national des crédits sont nombreux et non remis en cause, il est néanmoins indispensable de se pencher sur les modalités de ce fichier, afin de s’assurer, notamment, que celui-ci ne porte pas atteinte à la vie privée des consommateurs.
B. Une possibilité d’assurer la proportionnalité par l’encadrement des modalités d’utilisation
Il s’agit donc de concilier l’utilité d’un registre qui regroupe l’ensemble des crédits des particuliers avec l’impératif de protection de la vie privée.
La création d’un registre des crédits dans le cadre de la loi relative à la consommation (dite « Loi Hamon ») avait été censurée en 2014 par le Conseil constitutionnel en raison de ses modalités de mise en œuvre qui ont été considérées comme présentant un risque disproportionné pour la vie privée, bien que le Conseil constitutionnel n’ait pas remis en cause les finalités de ce registre.
Afin de répondre aux exigences posées par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 13 mars 2014, l’association CRÉSUS propose les modalités suivantes :
Proposition 1 : Soumettre l’accès au fichier positif à l’accord du bénéficiaire
Afin d’assurer que ce registre soit respectueux de la vie privée, nous proposons de soumettre sa consultation à l’accord préalable de la personne concernée :
- Soit directement, en lui proposant d’accéder au registre et de décider s’il souhaite en transmettre le contenu afin de souscrire à un nouveau crédit,
- Soit en soumettant la consultation des banques et organismes de crédit à l’accord du futur emprunteur.
Proposition n°2 : Définir avec précision les profils habilités à consultation
Nous proposons également que seul un nombre restreint de personnes soit habilité, au sein des organismes octroyant des crédits, à consulter ce registre, et ce à l’instar du FICP et du FCC (Fichier central des chèques) au moment de la demande de prêt, de l’octroi du crédit ainsi que l’augmentation du plafond d’un crédit renouvelable. Cette habilitation devrait être complétée d’une traçabilité effective afin d’assurer un respect strict de sa finalité.
Proposition n°3 : Limiter les motifs de consultation du dossier
Nous proposons de restreindre les motifs de consultation du fichier à la seule procédure d’instruction d’octroi d’un crédit aux particulier (consommation – immobilier – LOA – LDD), et à la reconduction d’un crédit renouvelable, devant faire l’objet d’un réexamen attentif.
Président :
Jean-Louis KIEHL
Juriste fédérale :
Pauline Dujardin